Focus

L’humour pour seule arme

Une fois par semaine, les amoureux de l’improvisation théâtrale ont rendez-vous à la Kfèt des sciences, pour des joutes libres davantage rythmées par les éclats de rire que les affrontements violents. Reportage.

Alors que la nuit est déjà tombée – il est 21 h - la Kfèt des sciences se remplit doucement. Quelques chaises sont encore libres alors que, m’assure-t-on, certaines soirées se jouent au coude à coude, spectateurs debout, pressés contre le bar et les baies vitrées de la salle tout en longueur. Cela n’empêche pas l’espace de bruisser d’une bonne humeur fébrile.

Pour le moment, les « vedettes » du soir se font attendre. C’est qu’elles sont en train de peaufiner leur stratégie pour la soirée, en conciliabules sous formes de mêlées, soudées autour de leur coach.

C’est d’abord le cortège des Sans nous c’est foutu (SNCF), tout de violet vêtus, qui investit la scène, côté jardin. Puis c’est au tour de l’équipe des Spams de prendre possession de la cour : sanglés dans des tee-shirts rouges, ils enchaînent eux aussi chorégraphie et cri de ralliement bien rodés… Ce sera bien le seul moment « écrit » de la soirée ! A chaque spectacle d’impro sa feuille de route vierge, à écrire en direct live lors de la soirée… pour le plus grand bonheur du public.

Bienveillance

Plutôt familière de ce type de spectacle, je découvre les règles spécifiques aux joutes libres… Tiens donc, certaines scènes mêlent les membres des deux équipes ? Moi qui croyais que tout se déroulerait selon un principe de battle, équipe contre équipe… Premier étonnement ! « Même si on parle de joutes, tout est placé sous le signe de la bienveillance », m’explique mon guide pour la soirée, François Freundlich. Depuis trois ans à la Lolita (pour Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale amateur), il en assure la communication. Comme lui, les 200 membres de la troupe, l’une des plus importantes et anciennes de France, sont des amateurs. « Les plus aguerris s’affrontent en championnat, avec en point d’orgue la finale, à l'Illiade, sur réservation payante. » Le reste des troupes fait ses premières armes lors de matchs répartis sur plus de trente soirées dans l’année !

Pour l’heure, sur scène, les saynètes s’enchaînent, selon les indications d’un maître du jeu (ou MJ) qui dicte ses conditions : nombre de jouteurs présents sur scène, durée (forcément courte) et surtout, thème… « L’éternel retour », « le nouveau », « fleur d’automne », « Mémé 68 », « Banc public »… Les jouteurs n’ont que quelques secondes pour s’accorder sur le point de départ de leur impro.

« Soulève ton… » lance à intervalles réguliers le maître de cérémonie vêtu d’un improbable kilt, histoire de faire patienter le public pendant ce court intervalle de préparation - qu’on appelle le caucus. Le genre est né au Canada, et cet héritage se ressent sur certains termes de jargon… La présence d’un DJ derrière le comptoir de la Kfèt des sciences parachève l’ambiance !

Esprit bon enfant et blagues potaches

Malgré l’appréhension palpable de certains avant de se jeter à l’eau, la mayonnaise prend. Esprit bon enfant et blagues potaches font mouche auprès d’un public déjà acquis : dans ses rangs, de nombreux étudiants, membres de la Lolita et nombreux proches des improvisateurs ! Emportés par leur imagination, certains en viennent même à oublier le thème imposé par le MJ, qui ne manque pas d’exprimer sa désapprobation… et se retrouve lui-même sifflé par le public ! « Certains jouent leur premier match ce soir », me glisse François. De tous âges et de tous niveaux, les jouteurs n’hésitent pas à tendre la main à leurs camarades plus en difficulté, et ça fait plaisir à voir. Ce choix de ne pas créer de groupes de niveaux, la Lolita le revendique : toutes les compagnies d’impro ne le font pas.

Galvanisés par la bienveillance du public ou remobilisés par leurs coaches, c’est en deuxième partie que les jouteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes. L’occasion de quelques tranches de rire lors d’une sportive contorsion musicale sans paroles, de spots de publicités pour des produits totalement inventés (« Spadouille, les gants pour faire des papouilles »), d’une inspection des lits par un général d’hygiène particulièrement sévère, ou de l’appétissante causerie d’une soupe alphabétique…

A l’issue de ce maelstrom de situations saugrenues, tendres ou héroïques, c’est l’équipe des Spams qui l’emporte au vote du public (les points étant attribués en fonction du nombre de paumes ouvertes ou de poings serrés dans la salle). Sans rancune, on se tape tous dans les mains, dans un joyeux méli-mélo de couleurs sur scène !

Elsa Collobert

Bon à savoir

Une large gamme de formation

Les liens entre la Lolita et l’Université de Strasbourg sont nombreux : premièrement, on peut estimer « à la louche » qu’un tiers de ses membres sont étudiants (sans compter les anciens étudiants ! ). Outre que la discipline de l’improvisation attire un public jeune, cela s’explique aussi par l’ancienne localisation des ateliers de la Lolita : le Patio. Les traditions ont la vie dure, puisque même si ceux-ci ont aujourd’hui gagné le lycée Kléber, l’usage n’a pas varié de se retrouver ensuite pour un verre au bar Le Chariot. Héritage de cette époque, une soirée de matchs hebdomadaire continue de se dérouler à la Kfèt des sciences, liée par convention à la Lolita.
En plus des ateliers (trois fois par semaine), des joutes libres (deux fois par semaine) et du championnat, les coaches de la Lolita animent aussi des séances d’improvisation auprès des lycéens de Kléber et d’élèves de prépa HEC. « Une bonne manière de prendre confiance en soi dans l’exercice de la prise de parole en public », estime François, lui-même faux extraverti – et il assure qu’ils sont nombreux dans les rangs de la Lolita !

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